Marée noire dans le Golfe du Mexique (30 juin 2010)
Voilà plus de deux mois que le pétrole brut s’écoule d’un puits accidenté à 1500 m au dessous du niveau de la mer, au large des côtes de Louisiane.
Rappelez-vous : c’était le 20 avril, en fin de journée qu’une explosion retentissait sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon exploitée par la firme BP. Celle-ci sombrait le 22 avril, disparaissant dans les eaux du Golfe en un spectacle magnifique, entre les flammes et la fumée, sous un ciel clair et dans un océan uniformément bleu. On déplorait 11 disparus mais on se félicitait d’avoir retrouvé quelques 115 rescapés dont une vingtaine de blessés.
Très vite, la ‘profession’ a su qu’une catastrophe de très grande ampleur était déclenchée : elle savait qu’aucun moyen, connu et prouvé, n’existait pour juguler la fuite de pétrole, rapidement et efficacement. L’administration US a, comme c’est la pratique usuelle aux Etats Unis, fait confiance à l’exploitant pour résoudre le problème.
L’exploitant BP a livré son estimation initiale de la fuite : un chiffre rassurant exprimé en barils (4 à 5000 par jour). Cependant un quelconque parallèle n’a pas été fait avec d’autres catastrophes analogues connues du grand public français : Exxon Valdez en Alaska (1989 – 39 000t), Amoco Cadix en Bretagne (1978 – 227 000t) ou l’Erika dans l’Atlantique (1999 – 20 000t) sans doute est-ce simplement dû au fait que dans ces différents cas la quantité était facile à chiffrer (la charge des tankers) alors que la fuite dans le Golfe augmente chaque jour : de 700t/j selon l’évaluation initiale à 8 000t/j selon l’évaluation plus réaliste, c'est-à-dire qu’en deux mois le tonnage dispersé est sans doute plus du double de celui dispersé par l’Amoco Cadiz, même compte tenu des résultats obtenus grâce aux systèmes de reprise en place. L’administration US a, pour l’instant repris les chiffres de BP, donnant l’impression de les cautionner.
Pour nous qui faisons vivre ce site Internet et nous efforçons de mettre en lumière les réalisations et les perspectives d’une industrie nucléaire que nous avons longtemps côtoyée commençait une longue découverte, mêlée d’un effarement croissant, au fur et à mesure que le temps s’écoulait et que le débit de pétrole reconnu par BP s’élevait :
Un tel accident n’avait semble-t-il jamais été imaginé : qu’un tube se brise ou qu’une vanne refuse de se fermer sont des accidents classiques prévus mais que les deux évènements se succèdent ou s’enchainent n’en constituait pas un.
Ni l’industrie, ni les pouvoirs publics n’avaient envisagé de défaillances multiples ou conçu les technologies et les outils nécessaires ou même établi un plan d’urgence adapté. Chacun sait pourtant que, dans des situations difficiles, l’impréparation conduit à l’improvisation et que la réussite couronne rarement un premier essai. On sait également que les « catastrophes » sont très souvent causées par l’accumulation de plusieurs défaillances mineures individuellement qui s’enchainent.
Là où nous aurions attendu qu’à l’américaine (Cap Canaveral n’est pas si loin) nous allions assister à la mise en œuvre d’une foultitude de moyens sophistiqués venant de l’ensemble du pays pour développer une partition orchestrale de vastes proportions nous avons assisté au déploiement de méthodes et techniques certes ambitieuses mais toujours improvisées…BP à l’évidence n’était pas préparé, ses partenaires et ses concurrents non plus, semble-t-il.
S’il ne s’agit pas ici de discréditer BP ou l’industrie pétrolière en général, il y a là cependant de quoi être étonné. En effet, le temps passant, la presse fait état de certains points surprenants :
Il y aurait eu une certaine collusion entre les organismes de contrôle et l’industrie (il ne fallait pas gêner l’industrie au moment où le pays essayait de réduire le poids de ses importations pétrolières).
On apprenait sur ces entrefaites que BP aurait, au départ, sous évalué la fuite de pétrole d’un facteur important 3 puis 12 et enfin 15 ou plus (au moins 60 000 barils/jour, au lieu de 4 ou 5000).
Avant même la première explosion du 20 avril, BP aurait poursuivi l’exploitation faisant fi de signes avant coureurs de la catastrophe, alors que celle-ci pouvait sans doute encore être évitée.
Les deux premiers points semblent avérés mais seule l’enquête judiciaire permettra de savoir ce qu’il en est quant au dernier.
Certains parlent maintenant d’un ‘11 septembre écologique’, d’autres d’un Tchernobyl pétrolier’ ou encore d’’une crise existentielle de l’industrie des forages offshores’. Il faut à ce stade rester prudent pour qui n’est ni spécialiste, ni américain. On notera néanmoins qu’il s’est trouvé un tribunal américain pour annuler le moratoire sur les forages en eaux profondes décrété par le président Barack Obama, le jugeant arbitraire et sans fondement ! Le principe de précaution ne figure à l’évidence pas dans le préambule de la Constitution américaine …et encore moins dans la mentalité américaine de conquête.
Il ne s’agit pas pour nous de donner des leçons ou de stigmatiser l’industrie américaine au vu des évènements auxquels nous assistons. Un parallèle avec l’industrie nucléaire (EDF qui exploite les centrales nucléaires françaises ou AREVA qui exploite l’usine de retraitement de La Hague) est cependant intéressant :
EDF et AREVA ne se sont jamais plaints d’avoir à démontrer aux Autorités de sûreté, avant mise en service d’installations nouvelles, comment, avec quels outils et robots existants et testés, selon quelles procédures écrites, avec quelles équipes spécialisées ils feraient face à une catastrophe d’ampleur comparable: le travail en milieu très irradiant ou contaminant d’une cuve de réacteur ou d’une cellule de vitrification de La Hague, par exemple, nécessite d’intervenir en milieu hostile de façon extrêmement précise, dans des lieux où toute intervention humaine directe est impossible, comme c’est le cas au fond de la mer ou sur le sol lunaire. Par exemple – dans certains cas extrêmes – à La Hague, certains robots existent qui sont capables d’intervenir après avoir, eux-mêmes, procédé à leur propre mise en œuvre, in situ, en utilisant les bases photogrammétriques en haute définition préalablement établies de la cellule et des équipements environnants considérés. Cela n’est qu’un exemple, il y en a d’autres.
En cours d’exploitation, les autorités indépendantes font des inspections et audits pour s’assurer du respect des consignes, de la formation des équipes, de leur culture de sûreté.
Tout incident, même mineur, doit être déclaré, analysé, et des remèdes proposés.
Les exploitants acceptent d’être évalués par leurs pairs (exploitants qui peuvent être des concurrents).
Bref dans l’industrie nucléaire, pas seulement en France mais également aux Etats-Unis, il n’est pas question, sauf à risquer une mise à l’arrêt immédiat d’autorité :
d’économiser sur la sûreté ;
d’exploiter sans avoir mis au point et testé les moyens pour parer à l’imprévu ;
de ne pas être soumis à une autorité de contrôle indépendante ;
de ne pas être formé à la gestion du risque.
Cela n’exclut pas bien entendu tout risque d’accident, même grave, mais cela facilite considérablement les réactions post-accidentelles et est susceptible de limiter les conséquences.
C’est sans doute pour ne pas effrayer le citoyen et donner des arguments à ses détracteurs que l’industrie nucléaire ne souligne pas, exemples à l’appui, le degré de sérieux avec lequel tout cela est conduit, il est cependant permis de penser que toute l’industrie, pétrolière et nucléaire par exemple, aurait intérêt à des échanges croisés bénéfiques pour tous.
En revanche, nous n’allons pas jusqu’à imaginer qu’un exploitant français en vienne à poursuivre une autorité indépendante ou le gouvernement en justice, comme cela vient d’être fait en Louisiane.
France et Etats Unis, Industries nucléaire et pétrolière : des cultures de sûreté bien différentes.
Gageons que, prochainement, les conséquences du désastre seront tirées : exigences techniques et précautions accrues permettront une reprise de l’activité offshore, les coûts s’en ressentiront…mais aussi les bénéfices de l’industrie…et la protection de l’environnement y gagnera.
Nous n’en sommes pas encore là…la fuite de pétrole risque de se poursuivre encore plusieurs mois et les nappes d’hydrocarbures – encore largement confinées dans le Golfe du Mexique et aux côtes de Louisiane et d’Alabama ainsi, depuis peu, du Mississipi et de Floride (ouest) – pourraient, avant de se dégrader, migrer vers l’Atlantique et menacer la côte est des Etats Unis, à commencer par les plages de Floride.
Bernard Lenail